Construire des réseaux internationaux d’ONG?

L’heure d’un premier bilan des stratégies d’appartenance aux réseaux internationaux a sonné pour de nombreuses ONG.

En 2015/2016, nous avons réalisé une étude pour Coordination Sud (la plateforme des ONG françaises de Solidarité, urgence et développement) qui visait à répondre à la question suivante: pourquoi les ONG françaises rejoignent-elles à des réseaux internationaux? Quels sont les bénéfices et les limites de cette mise en réseau au niveau international?

Cette question a pris une importance grandissante avec la multiplication du nombre de plates-formes, de mouvements, ou d’alliances au cours de ces dernières années. La plupart des ONG sont, de fait, engagées dans un tissu dense et complexe de dynamiques collectives, sans être toujours capables de déterminer la plus-value véritable de chacune d’entre elles.

Alors quelles questions se poser pour appréhender son appartenance aux réseaux internationaux?

La première question est celle des bénéfices que ce réseau permet d’obtenir: que vise-t-on à travers le réseau? Notre enquête auprès d’un large panel d’ONG françaises a permis de faire émerger 6 grands objectifs poursuivis par les ONG.

Ces objectifs sont loin d’être exclusifs les uns des autres. En réalité, nous notons que les ONG assignent en général trop d’objectifs à chaque réseau auquel elles participent, ceci alors que le réseau «tout-inclus» a peu de chance d’être efficace.

La deuxième question-clé est celle du niveau «d’intégration» dans un réseau dans lequel l’ONG est prête à s’engager. Autrement dit, qu’est-ce qu’une organisation est prête à partager avec les autres membres?

Jusqu’où aller d’abord dans le partage d’une identité commune? Un «label» commun donne une plus grande visibilité mais implique une interdépendance et un alignement forts entre les membres.

Jusqu’où aller aussi dans le partage des ressources? Plusieurs niveaux sont possibles entre cotisation, contribution et mutualisation. La mise en commun des ressources permet de changer d’échelle mais peut-être source de tensions étant donné le «poids» différent de chacun au sein du réseau.

Jusqu’où aller également dans la coordination et la mise en commun des activités? Dans l’harmonisation des modes d’organisation? Et plus globalement dans le partage des positions et des valeurs de chacun des membres? Une certaine «couche» de valeurs communes est nécessaire pour fédérer les membres d’un réseau; mais jusqu’où faut-il chercher à «s’aligner» dans ses valeurs? S’allier sur des «causes» ne nécessite pas nécessairement de partager des valeurs, tandis que pour des réseaux touchant au cœur de l’identité de chaque membre, des différences de valeurs peuvent créer des tensions qui minent le réseau.

Ces questionnements ont permis de mettre en avant quelques constats communs:

  • Le premier enseignement de l’étude est un constat simple: le choix des objectifs pour un réseau détermine largement le niveau «d’intégration» de ce réseau. Il est donc nécessaire de mettre en cohérence les objectifs visés et la nature de ce que l’on est prêt à partager. Cette cohérence manque souvent dans les premiers pas de mise en réseau et est à l’origine de l’échec de nombreuses dynamiques collectives.
  • Un deuxième enseignement utile: on observe un «effet de seuil» dans les bénéfices retirés de la participation à un réseau, à partir d’un certain niveau d’implication des membres. En d’autres termes, les entretiens et les enquêtes le soulignent, il est fortement déconseillé de s’impliquer en demi-teinte dans un réseau international, il y a peu de chances que cela produise des bénéfices significatifs.
  • Troisième leçon commune à l’ensemble des réseaux: un réseau n’est jamais «assez» animé. Il est toujours face à une demande des membres de plus de liens, et le sentiment d’appartenance collective n’est jamais vraiment acquis, même dans les réseaux les plus intégrés. Cette animation est un «investissement de base» et un métier à part entière, souvent insuffisamment pris en compte.

Les enquêtes menées pour cette étude montrent que nous entrons dans une période où les organisations cherchent à optimiser leur participation dans des structures collectives. Les points mentionnés ci-dessus sont utiles pour «évaluer» la pertinence et l’efficacité de sa stratégie «réseau». Des questions plus prospectives se posent également: face à un futur dominé par l’asymétrie, la complexité et l’incertitude, les ONG devront faire évoluer leur stratégie «réseau». Elles devront faire preuve de créativité et s’ouvrir à une diversité de partenaires dans le cadre d’un équilibre entre «strong links» et «weak links», qui leur permettra de saisir de nouvelles opportunités.

Jean-Martial Bonis Charancle et Martin Vielajus

 

Les opinions exprimées dans ce blog représentent uniquement les opinions des auteurs

 

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